Henri N´koumo (Directeur du Livre) : « L´une des grosses faiblesses du secteur est l´inexistence de librairies »


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Par Joëlle OUATTARA
Mis à jour le 2024-01-21 21:12:30

Henri N'koumo, journaliste, écrivain et surtout Directeur du Livre au ministère de la Culture, livre dans cette interview son expertise sur les réalités économiques vécues par les acteurs du secteur.


  • Le livre fait-il vivre son auteur ?  

La question des ressources tirées du livre s’est souvent posée aux auteurs. De nombreux écrivains, les jeunes surtout, sont convaincus qu’ils gagneront beaucoup d’argent après la publication de leurs premiers livres. D’autres, les plus anciens, savent qu’il n’est pas aisé de vivre de ses livres. A la vérité, partout dans le monde, seule une infime partie des écrivains vit pleinement de l’écriture. J’insiste sur ce point : Sur des centaines de millions d’auteurs dans le monde, seuls quelques-uns émergent et sont des écrivains professionnels, vivant intégralement de leur plume !

  • La Côte d’Ivoire compte-t-elle de ce genre d’auteurs prospères ?

 Oui, les auteurs de littérature générale vendant le plus d’ouvrages sont Biton Coulibaly et Anzata Coulibaly si nous prenons les statistiques communiquées par la Librairie de France. Ces deux personnes ont une activité professionnelle sur laquelle se greffe leur activité d’écrivain ; Biton étant éditeur à la retraite et Anzata journaliste à « Gbich ».

  • Les différents genres littéraires ont-ils un impact sur le côté économique ?    

Il y a des œuvres qui attirent les publics et qui favorisent des rentrées d’argent fortes pour les éditeurs et les écrivains. Dans un pays comme la France, les romans sont un genre qui, au plan commercial, font de bonnes ventes. Lorsque ces romans remportent des prix littéraires, le succès médiatique qui les accompagne permet aux auteurs d’avoir de grands gains.  Le lauréat du Prix Renaudot est assuré de vendre au moins 400 000 exemplaires de son livre. Le prix d’achat d’un roman étant en moyenne de quinze (15) euros, et l’auteur ayant en général entre 6 et 10% de droits par livre, on se fait une idée de ce qu’il gagnera.En Côte d’Ivoire, les ouvrages qui connaissent un succès commercial sont les romans ou recueils de nouvelles d’auteurs connus comme Biton ou Anzata, ainsi que les ouvrages de lit térature à l’eau de rose des collections comme Adoras. Ces littératures du voyage, de la fiction semblent parler au cœur des lecteurs ivoiriens. En revanche, des genres littéraires comme le théâtre, la poésie, les essais se vendent très peu et de nombreux éditeurs se refusent à en éditer.     

  • Comment se fait la rétribution des auteurs de livre ?

La répartition des recettes tirées du livre se présente en général, dans notre pays, comme suit : 10% pour l’auteur ; 30% pour l’éditeur ; 30% pour le libraire ; 15% pour le diffuseur et le distributeur et 15% pour l’imprimeur. Très souvent, les éditeurs occupent eux-mêmes les fonctions de diffuseur et empochent la part dévolue aux acteurs de ce secteur. Bien des auteurs considèrent que la part qui leur est reversée (10%) est trop petite. La réalité est que l’éditeur, celui qui prend le risque financier, est celui qui tirera le plus grand bénéfice de son investissement, de son risque en cas de succès.

  • Directeur du Livre au ministère de la Culture, pensez-vous à une autre stratégie pour mieux vendre les livres ?

 D’abord, l’une des grosses faiblesses du secteur est l’inexistence de librairies dans presque toutes les villes de Côte d’Ivoire. Avant 1990, la Côte d’Ivoire était l’un des fleurons du secteur du livre grâce, entre autres, à ces librairies qu’on retrouvait dans presque toutes les grandes villes du pays. Mais la crise économique des années 80 qui a débouché sur les Programmes d’Ajustement structurel (PAS), la longue crise politique qui a engendré les années blanches dans l’éducation et affaibli les ressources financières des populations, la dévaluation du francs CFA intervenue en 1994, ont eu impact notoire sur la vie du livre. A cela, il faut ajouter la crise politico-militaire des années 2000 qui a entrainé la destruction, du 06 au 07 novembre 2004, de vingt-quatre librairies du réseau Librairie de France Groupe. Fort de ce constat, la première solution est de faire en sorte que le territoire national soit couvert par des librairies. Or, la création des librairies ne dépend pas du ministère de la Culture mais du privé. La librairie est un commerce privé. Comment convaincre les commerçants et les hommes d’affaires qu’ils doivent investir dans le livre parce que cela rapporte ? Voilà le nœud du problème.

  • Est-ce qu’il y a une méthode ou un moyen pour les auteurs de suivre les chiffres de vente de leurs œuvres ?

La plupart des auteurs n’ont pour seule possibilité de suivre les chiffres de vente de leurs livres que d’interroger leurs éditeurs. En dehors de là, il n’existe pas, à ma connaissance, en l’état du secteur, d’autres méthodes.                                                     

  • Les droits d’auteur sont-ils respectés par les éditeurs ?

C’est relatif. La plupart des auteurs traitent en privé avec leurs éditeurs et nous ne savons pas grand-chose du contenu de leurs contrats. La nouvelle loi de 2015 sur l’industrie du livre dit que les droits d’auteurs doivent être reversés au mois de mars de l’année. Certains éditeurs le paient régulièrement comme convenus avec leurs auteurs, mais d’autres ne le font pas et, régulièrement aussi, on entend des auteurs se plaindre.

 

Joëlle OUATTARA

 

 

 

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