Fanta Kagambega (Directrice générale du Travail) : « Les défis sont les réticences de certaines entreprises »


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Par Entretien réa
Mis à jour le 2024-01-21 21:14:33

INTERVIEW 1 Revalorisation du Smig et son applicabilité Fanta Kagambega (Directrice générale du Travail) : « Les défis sont les réticences de certaines entreprises » Dans cet entretien, la Directrice générale du travail situe sur le cadre législatif et réglementaire du Salaire minimum interprofessionnel garanti et décline la vision du Gouvernement après sa revalorisation.


  • Mme Kagambega, comment peut-on expliquer de façon claire le Smig aux populations ?

Le Smig est le Salaire minimum interprofessionnel garanti. C’est le salaire minimum que doivent percevoir les travailleurs de tous les secteurs d’activités en Côte d’Ivoire. Il est formellement interdit de verser un salaire en dessous de ce minimum.

 

  • Parlez-nous du cadre juridique qui le régit et des dispositions de son application en Côte d'Ivoire.

Le SMIG est régi par les dispositions de la loi n°2015-532 du 20 juillet 2015 portant Code du Travail et par le décret n°2022-986 du 21 décembre 2022 portant revalorisation du Smig. Toutefois, la fixation du montant du Smig s’obtient par accord entre le patronat et les organisations syndicales de travailleurs réunis au sein de la Commission indépendante permanente de Concertation (CIPC). C’est un organe bipartite de dialogue social. L’accord est adopté par la Commission consultative tripartite (CCT), organe tripartite de Dialogue social. Il s’agit principalement des articles 31.1 et 31.8 qui posent les bases du Smig et les autres articles du Titre III qui définissent les modalités qui s’attachent au salaire.

   La fixation du Smig est enfin entérinée par un décret pris par le Président de la République. Les Employeurs ont l’obligation de l’appliquer à la date d’entrée en vigueur. Les travailleurs doivent veiller à sa réalité et les Inspecteurs du Travail doivent procéder à des contrôles de conformité de paiement de ce Smig.

 

  • Le gouvernement a annoncé la revalorisation du Smig. Selon vous, quel est l'impact sur les travailleurs ivoiriens ?

   La revalorisation du Smig de 60 000 à 75000 F permet aux travailleurs de bénéficier d’un meilleur traitement et d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. Certains pourront trouver que c’est insuffisant mais c’est une aspiration pour le Gouvernement de conforter la politique du travail décent dont l’une des composantes, la rémunération, reste un facteur de motivation au travail.

 

  • Quels sont les difficultés auxquels les décideurs politiques et les parties prenantes pourraient être confrontées dans la mise en œuvre de cette revalorisation ?

Les défis à relever sont nombreux. Ce sont d’abord les réticences de certaines entreprises à respecter le nouveau taux parce que cela augmente leurs charges salariales. Également, le contrôle de l’application du nouveau taux de 75 000 FCFA par les services de l’Inspection du Travail dans le secteur informel sera un défi majeur. Ensuite, nous avons aussi les risques de hausses inflationnistes liées à la hausse des salaires. Et cela doit forcément impacter les autres secteurs dont l’agriculture qui doit voir revalorisé le Salaire minimum agricole garanti (Smag). Un autre défi non moins important est la question incidente du nouveau barème des salaires minima catégoriels qui devra bientôt être prise par arrêté d’extension du ministre de l’Emploi et de la Protection sociale.

 

  • Certaines personnes affirment qu'un Smig plus élevé pourrait entraîner une augmentation du coût de la main-d'œuvre pour les entreprises, ce qui pourrait décourager l'investissement et la création d'emplois. Qu’en pensez-vous ?

A priori, la hausse des salaires pourrait conduire à une augmentation de la masse salariale pour les entreprises. Mais en réalité, en plus de dispositifs institutionnels forts (ministères, AEJ, CEPICI, AGEFOP, FDFP etc.), notre pays dispose d’un cadre législatif et réglementaire approprié en la matière (Code du Travail, Code d’Investissement, et leurs textes subséquents). En outre, le Gouvernement a mis en place des mesures incitatives à la création d’emplois qui prennent en compte les jeunes, les personnes en situation de handicap, les personnes en apprentissage et formation professionnelle. Nous pourrons citer à titre d’exemple le renforcement du dispositif de développement de l’employabilité et de l’entrepreneuriat, notamment des jeunes, avec l’Agence Emploi Jeunes (AEJ) et le Bureau de Coordination des Programmes Emploi (BCPE) à travers les Projets Contrat de Désendettement Emploi et PEJEDEC. Le Gouvernement concourt également au développement des Petites et Moyennes entreprises (PME) par la réduction du taux de l’impôt foncier, par l’exonération de la contribution des patentes et par l’exonération en matière d’impôt minimum forfaitaire.

   Autant de dispositions et mesures qui permettent de stimuler la création d’emplois en Côte d’Ivoire.

 

  • Comment le gouvernement ivoirien peut-il travailler avec le secteur privé et les autres parties prenantes pour s'assurer que la réévaluation du SMIG est bénéfique pour toutes les parties concernées ?

La mise en place des organes de dialogue social, notamment le Conseil national du Dialogue social (CNDS), la CCT, la Commission consultative tripartite sur les Normes internationales du Travail (CCTNIT), la CIPC sont autant de leviers qui permettent à tous les acteurs de réfléchir sur l’impact d’une revalorisation du Smig. Ces organes de discussions et d’échanges sont composés d’experts dans des domaines variés qui apportent leurs contributions à l’amélioration des conditions de vie et de travail des salariés.

 

  • Y a-t-il des leçons que la Côte d'Ivoire pourrait tirer des autres pays qui ont revalorisé leur salaire minimum ?

  Avec 75 000 FCFA, soit 127 dollars, notre pays se positionne à la 13ème place en Afrique et reste première en Afrique de l’Ouest devant le Sénégal qui est passé à 60 000 FCFA. Notre pays fait d’énormes efforts en la matière.

 

  • Selon vous, quel est le niveau idéal auquel le Smig devrait être fixé en Côte d'Ivoire ?

  Il n’y a pas de niveau idéal dans l’absolu. Le Smig est revalorisé en tenant compte des réalités socio-économiques d’un pays. La détermination du Smig s’appuie sur l’analyse des coûts et la capacité de résilience des entreprises à absorber ces coûts. De 1994 à 2013 le montant était fixé à 36 607 FCFA. Il est passé à 60 000 FCFA de 2013 à 2022, soit une augmentation de 61%. Ensuite à 75 000 FCFA, soit une revalorisation de 25% en 2023.

 

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